▬ psychologie
Caroline, elle est comme cette chanson digne d’un aéroport. Classique, neutre, insipide. Banale pour ne pas déplaire, pâle pour ne pas surprendre. Fade comme ses cheveux roux, balayés aux quatre vents en même temps que sa volonté en cas de conflit, rêveuse comme ce petit nez pointé vers les étoiles, timide comme ce petit sourire qui pourrait parfois affleurer au coin de ses lèvres.
Posée et réfléchie, elle rase les murs pour ne pas trop se faire remarquer.
Caroline, elle est comme cet air de jazz. Lente, onctueuse, suave. Parfois. Les yeux perdus dans un livre comme le saxophone s’égare dans l’air de la nuit, lèvres brillantes entrouvertes comme l’invitation à la danse proposée par la mélodie, gestes fluides comme la voix pourtant rauque d’une jolie chanteuse.
Elle est lisse et entière.
Caroline, elle est comme un hasardeux morceau d’expérimental. Maladroite, en gestation, hésitante. Infinie de possibilités, comme chaque note qu’on pourrait ajouter à la partition, incertaine par peur de se tromper, probablement, comme si chaque échec pouvait ruiner des années de travail, en réflexion permanente à la mélodie, il lui faut du temps pour se décider.
Et parfois, son silence frôle le génie.
Caroline, elle finit par être comme un endiablé morceau d’électro swing. Vive, enthousiaste, pleine de bonne volonté. Généreuse comme les années folles, sincère comme l’archet jouant sur la contrebasse, énergique comme les beats électro.
Elle sait être agréable dès qu’elle est en confiance.
Caroline, elle est comme les chansons de dessins animés. Niaise, souriante, facile à comprendre. Pure comme les intentions des protagonistes, légère comme les oiseaux qui viennent se poser dans les paumes de la Bête, tranquille comme le veut la philosophie de l’Hakuna Matata.
Pourtant, elle reste discrète et la plupart des gens l’oublient.
Caroline, elle est comme une valse. Précise, concise, régulière. Maniaque comme le premier violon, régulière comme la danse qui l’accompagne, curieuse comme ceux qui la réinventent.
Parfois, elle invente des mystères pour s’improviser détective.
Caroline, c’est celle qui fait semblant d’aimer les plus désagréables enfants, celle qui connait les défauts des adultes mais préfère passer pour une inculte.
▬ histoire
Elle a le casque autour du cou, la poussière dans les cheveux roux. Les cernes sous les yeux, le pas hasardeux. Les vêtements sales, la détresse abyssale.
Caroline a mauvaise mine.
Mais Caroline continue de sourire doucement, paupières entrouvertes au vent.
Elle est perdue, elle s’est perdue. Peut-être même a-t-elle tout perdu. Sauf ce stupide casque qui ne joue même plus de musique, dernier vestige d’une vie agréable, vestige collant comme un moustique.
Dans un soubresaut d’espoir, paupières désormais closes, Caroline attend qu’on lui montre la voie vers un monde tout rose. Rose bonbon, comme dans les films idiots auxquels elle croit du haut de ses vieux godillots.
Elle vivait sa vie en rythme, elle vivait sa vie en rimes. Caroline, elle aimait plus les jolies chansons que la poésie, mais elle se laissait embobiner par les beaux textes de n’importe qui.
Au collège, on le lui a demandé et elle s’est exécutée, elle a joué de la flute, et ce fut un peu comme un uppercut. Elle a aimé ça, même quand il fallait chanter en célibataire, c’était la timide Caroline la première volontaire.
Le reste du temps dans les bouquins pour oublier que si elle n’avait pas de copain, c’était juste parce qu’elle était trop réservée pour aller en dénicher.
Caroline a toujours été faite de compromis, philosophie qui est sans doute sa pire ennemie ; peur se s’imposer, peur de vexer, peur de déranger, elle ressemblait plus à un joli meuble posé dans un coin qu’à un gamin plein d’entrain. Le casque sur les oreilles, crachant un air endiablé pour la transporter dans un autre univers, sans doute ; et parfois, elle s’aventurait en dehors de ses cours à jouer de la contrebasse en solo –elle ne laissait jamais à qui que ce soit le loisir de flatter son égo.
Caroline était une fille réellement altruiste, mais plus que probablement un peu trop idéaliste. Elle s’attendait à ce que chacun soit prêt à la même générosité que la sienne ; évidemment, il n’y avait là pour le reste du monde rien de pérenne.
Le saxophone, ainsi que la contrebasse et par la suite, pourquoi pas du Chapey ; Caroline avaient choisi des instruments relativement peu demandés.
Pour ne pas pénaliser ceux qui visaient violon ou piano, Caroline qui a toujours peur d’être de trop ; pour être sure de ne vexer personne, elle a même hésité à jouer du triangle plutôt que le saxophone.
Mais elle a choisi d’être raisonnable, la musicienne du bac à sable ; délaissant quelque peu le conservatoire pour des études littéraires, objectif, devenir un prof rasoir.
Après tout, les bouquins avaient toujours été son second amour. Capable d’y plonger son nez à longueur de journée, elle avait dévoré les classiques et d’innombrables recueils poétiques. Passionnée par les ouvrages sans âge, elle fit un choix de raison, imposé par de logiques déductions.
Jusqu’au jour ou son hésitation fit une trêve, jusqu’au jour ou elle osa enfin envisager concrétiser son rêve.
Elle aimait les livres, mais c’est de musique qu’elle voulait vivre.
Ce fut le seul acte qu’elle réalisa avec précipitation ; tout quitter, abandonner les études par passion. Brusquement, brutalement, sans compromis pour l’unique fois de sa vie.
Depuis, elle réfléchit chaque décision avec obstination.
Le succès est difficile à gagner, le groupe fut compliqué à former. Parce que Caroline trouvait plus aisé de se laisser marcher sur les pieds que tenter d’imposer ses idées ; parce que vivre de la musique s’avère complexe, surtout lorsque l’on ne possède pas les bons réflexes.
Caroline ne put subvenir à ses besoins, et ses parents n’en surent jamais rien.
Elle ne voulut guère leur demander assistance, redoutant comme d’habitude plus que tout de manquer à la bienséance.
Caroline s’enferma dans le mensonge, et ses yeux devenaient des éponges ; ne pouvaient en sortir aucune larme, toutes devaient rendre les armes.
Père et mère pensaient que tout allait bien pour leur enfant ; finalement, celle-ci n’est jamais sortie du labyrinthe de ses regrets béants. Elle hésitait trop entre s’acharner et se retourner.
Et lorsqu’elle arriva à Horizon, armée de son éternel sourire, ses réflexions l’empêchèrent de pêcher à nouveau par excès d’ambition.
Elle s'est appliqué pour ravaler le gout amer qui lui restait sur le palais.
Non pas qu’elle ait décidé de se réinstaller aussitôt au fond du caniveau, elle a plutôt tenté de ne pas céder à la musique de nouveau.
Comme si cela avait été son souci premier. Non, loin de là. Evidemment, en arrivant, d’autres considérations prirent le pas.
Notamment ces êtres autour d'elle, qu'on aurait dit sortis de films caractériels. Il y en avait quelques uns franchements inquiétants, d'autres plus attrayants, mais tous avaient un point commun qu'elle trouva peu humain.
Leur manque de curiosité pour cette demoiselle fraichement débarquée. Arrivée de nulle part.
Ils lui ont à peine jeté un regard, malgré son teint blafard, malgré son apparition soudaine, malgré sa compréhension à la peine.
A croire qu’ils avaient l’habitude de son inquiétude.
Elle se demanda, en premier lieu et sans doute bien banalement, si elle était morte et si l’Enfer était compris au cœur de cette muraille sans porte.
Elle commença à avoir faim, et en déduit arbitrairement que ce n’était pas la fin.
Elle en déduit également que cela était bien réel, les créatures portant des cornes ou des ailes, les ruelles aux pavés bien nets, jusqu’au ciel qui lui semblait trop bleu pour être honnête.
Caroline en fut enchantée. Puis terrorisée.
Elle eut peur qu’on l’ait empoisonnée, qu’elle se soit intoxiquée. Que ce soit des hallucinations, fruits d’une détresse sans fond.
Et finalement, il n’en était rien. Elle bénéficiait d’une seconde chance dont elle avait bien besoin.
Alors elle a observé. Ecouté. Enregistré. S’est parfois aventuré à demander plutôt que d’indéfiniment s’interroger.
Caroline a découvert de nouveaux modes de vie, de nouvelles traditions ; elle s’y est adaptée, comme l’aurait fait un caméléon.
Pour cette grande rêveuse aspirant à une autre réalité, ce nouveau monde ne fut pas des plus difficiles à accepter.
Même si malgré tout, elle recevait encore des regards chargés de courroux.
Les Cross dont elle a trouvé l'origine adorable, les Uncanny qui se sont avérés abordables.
Elle sentait toutefois qu’ils ne la comprenaient pas, et elle savait qu’elle ne les comprenait pas.
Ils se ressemblent tant et sont pourtant si différents.
Caroline a vite appris à vivre avec, malgré quelques mots secs. Oui, elle apprécie autant ceux présents avant elle que ses semblables ; pour avoir été acceptée ici, elle se sent même redevable.
Elle est revenue vers les livres, ignore autant qu’elle le peut ce qui fut son autre raison de vivre. Il est moins précaire d’être libraire que musicienne à la peine.
Elle s’est contenté de faire son travail de manière appliquée, sans se faire remarquer, elle qui ne voulait ici pas faire de vagues, ne pas être évoquée comme une mauvaise blague.
Elle passait inaperçue, du moins le croyait-elle, mais finalement on la laissa voler de ses propres ailes. Digne de confiance, le petite rousse aux genoux cagneux, à moins que l'on n'ait tout simplement pas trouvé mieux.
Parce que si dans la musique elle n'avait plus d'ambition, pour le reste il lui restait beaucoup de franche conviction.
En tous les cas, voila qui compensait un peu la déception d’avoir échoué dans sa passion. A croire que l’immigrée avait fait ses preuves, à défaut de triompher d’autres épreuves.
Des souvenirs dont elle préfèrerait se départir.
Elle a d'ailleurs autorisé le même traitement pour son ancienne existence que celui accordé à son patronyme désormais vide de sens. Son nom, oui, elle l’a laissé de côté, comme si cela allait de paire avec son identité ratée.
Parce que Caroline n’est pas réellement Caroline. Il arriva qu’elle s’appelle Lola. Son nom complet dénué de toute importance, elle l’a laissé derrière elle, avec un soulagement intense.
Acte simplement symbolique, restant assez pathétique.
Elle n’y a pas réfléchi, elle n’en a pas ressenti le besoin ; ce nouveau prénom lui est venu avec le naturel de surface qui est le sien.
Un simple prénom pour tenter davantage encore de s'intégrer.
Son gentil sourire lui arrive d’être mensonger, il en va de même avec les conversations sur son passé.