▬ psychologie
La Mort.
L'évanouissement d'un souffle, la souffrance de la blessure, l'agonie des derniers instants. Un ultime sourire, des larmes de détresse, des cris plaintifs.
C'est ce que Iseult représente. La Mort. Cet évènement tragique mais inévitable, que chaque être semble redouter, au point de vouloir la repousser autant qu'ils le peuvent. Ou bien la provoquer ; leur désespoir est tellement grand qu'ils préfèrent en finir immédiatement plutôt que de laisser le récit de leur vie continuer de s'écrire.
La vie est déjà si brève et l'on cherche à l'écourter encore.
Seulement voilà : Iseult aurait largement préféré être la personnification de la Vie ou de la Fertilité. Mais il n'en est rien et la jeune femme voit ses nuits hantées sans cesse par des visions d'horreur où la déchéance et la désolation sont reines, où les cadavres jonchent le sol, où la mort laisse un silence pesant et oppressant. Alors, elle se réveille, des frissons parcourant son échine, des sueurs froides la prenant. Et si elle le pouvait, elle pousserait sûrement un cri. Mais malheureusement, la Mort est silencieuse et Iseult n'y a pas échappé.
Alors, elle s'occupe. Elle tente d'oublier cette réalité, cette identité qu'elle porte et supporte. Autant ne pas se mentir : incarner la Mort est une tâche, un fardeau lourd.
Qu'est ce qu'elle fait ? De nombreuses choses. Du moment qu'elle s'occupe l'esprit, c'est tout ce qui lui importe. Du moment que Morphée ne revienne pas la chercher, c'est tout ce qui lui importe. Même si l'on peut remarquer quel l'un de ses principaux échappatoires est l'art. En plein milieu de la nuit, elle est capable de se lever pour aller peindre, assise au rebord de sa fenêtre, contemplant le ciel étoilé de Horizon. Et ce, jusqu'à ce que le jour pointe le bout de son nez. Iseult est capable de ne pas dormir pendant plusieurs jours d'affilée, tant la peur de se retrouver de nouveau face à ces cauchemars la tourmente. Du coup, elle continue, s'affaire à droite à gauche, s'occupe le plus possible avant d'atteindre ses limites qui l'obligent à fermer ses yeux et à affronter de nouveau la Mort, s'affronter elle-même.
A défaut de pouvoir rêver paisiblement la nuit comme tout autre être "normal", Iseult se prend à rêver éveillée. Elle imagine, elle rêve, elle fantasme. De vie, de fertilité, d'amour.
Oui, d'amour.
Iseult est une romantique -sans tomber dans le niais- qui espère un jour voir son Prince Charmant lui venir en secours, l'enlever, la kidnapper pour l'emmener loin, loin de tout, juste elle et lui. Qui espère pouvoir être arrachée à sa personnification, en vivant cet amour paisible, attentionné, vivant.
Mais voyez la réalité en face. Qui. Qui voudrait avoir pour compagne la Mort elle-même ? Personne. Lorsqu'elle sort, Iseult est dévisagée, fixée, détaillée. On la regarde, on la craint, on s'éloigne. D'autres iraient l'insulter pour être ce qu'elle est. Mais que peut-elle y faire ? Même elle, souhaite oublier. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle se laisse insulter de la sorte. Alors, elle se retourne. Lentement. Elle fait face à son interlocuteur. Et elle le fixe. Même s'il ne la voit pas. Parce qu'Iseult est dépourvue de tête. Parce que chaque personne a sa propre vision de la Mort. Tout ce qu'il peut voir, c'est cette fumée étrange, qui s'échappe de son cou, endroit où aurait dû se trouver sa tête. Et la fumée s'épaissit un peu plus. Elle s'approche, pour se retrouver face à lui. Elle le domine, sans un mot, puisqu'elle est incapable d'en prononcer un seul. Et il a peur. Peur qu'elle vienne s'emparer de sa vie, peur qu'elle lui arrache sa plume, qu'elle décrète que l'histoire s'arrête ici.
Mais Iseult n'est pas méchante. Tout ce qu'elle fera, c'est passer son chemin, et s'empresser de trouver un lieu tranquille, où elle sera sûre de ne pas être regardée de travers. Un endroit où elle sera sûre de ne pas entendre des individus murmurer tout bas " Regarde, c'est la Mort qui arrive. " ou les mères rentrer en vitesse les enfants en disant de ne pas bouger, que " la vilaine dame arrive ".
C'est pour cette raison qu'elle n'apprécie pas particulièrement la foule ; elle se sent perpétuellement observée, rejetée.
Et puis, sans tête, comment attirer ce Prince Charmant dont elle rêve tant ? Iseult semble ne pas exister sans visage et pourtant, elle est là. Elle n'a pas d'yeux aux couleurs hypnotisantes ou de longs cils à faire battre tel des ailes de papillons, ni de lèvres que l'on aurait envie de croquer, ni de longs cheveux à faire onduler quand elle marche, ni de joues rosissantes. Non, Iseult n'a rien de tout ça. Elle n'a qu'un corps, certes, assez joli. Mais l'absence de cette tête, cette face, change tout.
Alors, lorsque quelqu'un semble s'intéresser à elle, elle est flattée. Que l'on ne cherche pas à la fuir encore et toujours, que l'on veuille la côtoyer, lui parler, la connaître. Peut-être butera-t-elle aux premiers abords ; elle n'a pas l'habitude de la présence d'autrui, ce qui fait qu'elle se fait froide. Mais au fur et à mesure, la glace se fissure, se brise, pour laisser une jeune femme qui n'a envie que de vivre. Mais peu de personnes le savent. Il n'y a que les quelques amis qu'elle a qui le savent.
Alors, la Mort, solitaire, silencieuse, continue de s'isoler.