Hoo, on l'a nommé Hoo parce qu'on l'a trouvé au beau milieu du bassin musical. H avec deux O, comme l'eau. Et parce qu'il avait les cheveux bleus, aussi. Ce qui doit probablement être la chose la plus remarquable dans toute sa personne, et au beau milieu d'un pays de rêves, d’illusions et de chimères, c'est un peu consternant. Enfin, trouvé, c'était plutôt remarqué. Impossible de dire s'il flottait là depuis longtemps ou s'il venait juste d'arriver.

Hoo possède approximativement le charisme d'un lichen en décomposition. Que ce soit au niveau du physique ou de l'intellect. On ressent juste un grand vide, quand on le regarde, et lui-même ne semble pas ressentir grand-chose. Il vous renvoie un regard vide, atrocement. Et ne parle pas. Ou peu. D'une voix éteinte. Comme s'il était pas sûr du fonctionnement de la chose. C'est faible, presque imperceptible, parfois. Il met un temps infini à s'en apercevoir, et tente de hausser la voix. Un peu. Mais ça n'arrive pas souvent. Parce que la grande passion de Hoo, c'est de se tenir dans un coin, et d'observer. En silence.

Hoo est une page blanche, et il est affreusement vide.
Les Uncanny se construisent avec leur racine. Pas de parents, pas d’environnement spécifique, juste la racine. Hoo est la personnification d'une page blanche. De la Page Blanche. La Page Blanche, horreur de bon nombre d'artistes, de tout temps et de toutes époques. Cette simple feuille de papier, ce rien, qui empêche toute création. Ce vide, grand, immense, frustrant. Hoo est ce rien. Cette étape entre-deux. Parce qu'on l'oublie souvent, une page blanche, mais ce n'est pas forcément négatif. C'est neutre, un palier entre deux étages, une base, inexplorée. Une personnification, ce n'est ni noir ni blanc. Mais même si on accroche l'idée, qu'on y pense très fort et qu'on regarde Hoo... le résultat est affreusement décevant. Hoo n'évoque tout simplement rien. C'est une page blanche. Ni mauvais, ni bon. Un stade en attente. Un bloc d'argile qui attend d'être sculpté. Une toile qui attend d'être peinte. Une page écrite.

Mais Hoo, toutes ces années, n'avait que sa racine. Alors il est tout simplement devenu rien. Une bête, stupide, page blanche.
Alors il observe, patiemment, avec attention. Les gens, le monde, les choses. Il cherche à comprendre, à se remplir, à s'écrire. Parce qu'il a beau être vide, avoir du mal à faire surgir les émotions, les goûts et toutes ces choses qui font d'un être vivant ce qu'il est, il voudrait bien l'être. Un peu. Beaucoup, en fait. Il ne passe son temps qu'à ça. Observer. Mais c'est difficile. Retenir les choses n'est pas le fort d'une page blanche. Ça s'échappe, ça glisse entre ses doigts avant qu'il puisse les refermer. Alors il collectionne. Des petites choses, des petits riens, pour se souvenir des gens, des choses, des moments. Il passe, observe, et collectionne en silence, l'air de rien.

Il essaye de s'écrire lui-même.
Mais en même temps, il hésite, n'est pas sûr de vouloir. Il ressent une sorte de peur, diffuse, discrète, profondément ancrée au plus profond de son être : si jamais il arrive à noircir sa page, à se construire un Moi, alors il ne sera plus une page blanche. Il ira contre sa nature, son essence.
Et peut-être qu'une telle chose n'est pas permise. Pas concevable.

Et qu'il disparaîtrait alors tout simplement comme un peu d'eau après la rosée.
 

« La vie à Horizon est-elle agréable ? »
Hoo suppose que oui. Il... existe. C'est déjà bien. Enfin. Peut-être. C'est un peu difficile de se faire un avis précis sur la chose. De même, il n'a jamais connu rien d'autre qu'Horizon. Horizon est Horizon. Son monde, son existence. C'est. Tout simplement.
« Comment voyez vous vos rapports avec les Astray ? »
Ils sont... intéressants. Plein d'émotions. Vraiment beaucoup. Et de choses nouvelles. Les observer est intéressant. Compliqué, mais intéressant.
« Que pensez vous des Cross ? »
Pour l'instant, pas grand-chose. Vraiment pas, en fait. Leur nom n'évoque qu'une définition vague, presque clinique. Moitié-Uncanny moitié-Astray. Hybrides. Il a besoin de les observer un peu plus.
« Avez vous un avis à propos du Roi ? »
Une rose. Rose pâle. Qui sent bon.
Hoo oublie fréquemment l'existence même du Roi, et doit serrer la fleur entre ses mains, se piquer les doigts sur ses épines, pour s'en souvenir. Il oublie souvent la rose, aussi. Mais il pense toujours à en chercher une autre. Un peu... contrit. En quelque sorte, laisser faner cette rose, ce n'est pas bien. (Mais son avis s'arrête probablement là. Comme Horizon est Horizon, le Roi est le Roi. Les choses sont comme ça.)
 

Il flottait.
Ses cheveux s'éparpillaient lentement tout autour de son visage, glissant sur la surface de l'eau. Sa chemise était mouillée. Le reste de ses vêtements aussi. Tout était collé, tout contre sa peau. Il était mouillé aussi. Pas de chaussures. Ses orteils nus étaient fripés, un peu. Ses yeux étaient grands ouverts, fixés sur le plafond étincelant. Il ne dormait pas. Il n'était pas détendu. Il flottait juste, sur le dos, les bras étendus, faisait la planche, et regardait le plafond. Aucune moue, de simples clignements de paupières pour seule pensée. Il ne savait pas depuis combien de temps il était là. Peut-être une éternité. Ni pourquoi. Il ne se le demandait même pas. Cela n'avait pas d'importance. En fait, le concept d'importance n'existait même pas. Sa peau était un peu fripée, et il regardait le plafond. C'était les seules informations que diffusait son cerveau. En rond, lentement, paresseusement.

Pouic-Pouic.
Ça chatouillait.

Pouic-pouic.
Sur son flanc. Le gauche.

Pouic-Pouic.
C'était un peu étrange.

▬ Tu crois que c'est mort ?
▬ Yeux ouverts.
▬ Ça prouve rien.
▬ Et surtout... "ça" respire.
▬ Ha.

Hoo cligna des yeux. Et tourna la tête, lentement. Deux êtres aussi semblables qu'un reflet dans le miroir l'observaient. Et il les observait aussi, maintenant. L'un d'eux tenait dans sa main une branche, encore appuyée contre ses côtes. Ça ne faisait pas mal. Ça chatouillait juste un peu. Hoo cligna de nouveau des yeux.

▬ Ça n'a pas l'air très vivant.
▬ Ça te regarde, pourtant.
▬ Prouve rien', grommela l'un des jumeaux en plissant le bout de son nez. Les zombies, ça existe.
▬ Tu lis trop de bouquins Astray, mec.
▬ On est dans un monde de rêve, MEC, les zombies c'est normal !

Hoo cligna des yeux. Ils parlaient beaucoup. Son esprit ne pouvait qu'écouter. Il ne savait pas encore trop pourquoi. Mais il écoutait.

▬ Bon, et on en fait "quoi" ?
▬ Aucune idée. Mais si ça continue, il va finir par ressembler à... comment ils disent déjà ? VTT ? Pwouitie ? Lyti ? Bref. Le truc tout fripé que ce type avait décrit, là, t'vois...

Et, probablement pour couper court aux références obscures de son frère, le deuxième jumeau sauta alors dans le bassin pour tirer Hoo de là. Avant qu'il ressemble à Wipi. Yiti. Ou quel que soit son nom.

Hoo ne sait pas pourquoi, mais ceci est son premier souvenir. Le premier qui est resté. Le moment où les sentiments ont commencé à émerger. Oh, pas beaucoup. Infimes, toutes petites pensées, mais il a commencé à avancer. Là, sur le bord de ce bassin, étrangement silencieux. Jusqu'au moment où il commença à suivre les jumeaux. Un petit tintement de clochette accompagna le son de leur pas. Pas longtemps, mais il l'entendit. Comme il entendit les deux chimères. Oh, longtemps. Ils parlèrent longtemps, beaucoup. Lancèrent plein d'informations, qui glissèrent aussitôt sur sa page blanche. Puis ils lancèrent encore, et encore. Et finalement, des petites choses restèrent. Horizon. Uncanny. Racine. Personnification. Oui. C'était ça. C'était ce qu'il était. Une personnification. Maintenant qu'il avait le mot, il avait son sens. Trouvé au plus profond de lui. Sa nature. Page Blanche. Il était une Page Blanche.

Hoo ne sait pas quand, mais il finit par perdre les jumeaux de vue. En plein dans la ville. Il resta d'abord sur place. Longtemps. Regardant simplement devant lui. Avant de commencer à marcher. Lentement. De s'asseoir quand il sentit ses jambes fatiguées. Puis d'observer, sans même y penser. Tourner la tête machinalement pour suivre les choses, les gens, les événements. Et de penser. Penser était plus difficile qu'on aurait pu le croire. Former des idées. Des réflexions sur les choses. Sur lui. Sur ce qu'il devait faire. Si tout n'avait été que néant, il serait probablement resté là. Longtemps. Très longtemps. Mais à force d'observer, Hoo trouva quelque chose. Qu'il était incapable de nommer lui-même.

Mais au fil du temps, au fil des années, il se mit à avancer. Un pas après l'autre. De sa propre volonté. Juste un tout petit peu. D'un point de vue extérieur, c'était même extrêmement lent. Pour ne pas dire carrément mou. Mais ne pas suivre quelqu'un, ne pas être tiré par quelqu'un, vouloir avancer à cause d'une ses propres pensées, c'était assez difficile. Et parfois, Hoo se demandait pourquoi il essayait.

Parce que les gens le faisaient. Les choses. Les animaux. Le monde vivait. Lui, il le contemplait.
Et au fond, tout au fond, il avait envie de vivre un peu.

Alors il marcha.
Et marcha.

Tomba sur son premier Astray, sur d'autres rêves, plein de petites choses. Beaucoup glissèrent. Peu restèrent. Il commença à ramasser des petites choses, des bribes, morceaux ridicules de souvenirs. Parce que graver quelque chose sur une page blanche était vraiment difficile. Et qu'il ne voulait pas tout oublier. Pas... ne plus penser.

Il voulait exister.
Même si c'était peut-être contraire au fondement même de sa nature.
Au fond, tout au fond, le néant était effrayant.

Il ne voulait pas y retourner. Il voulait vivre. Un peu.

Alors il marcha. Droit vers les choses, droit vers les gens, droit vers les ennuis.

Parce qu'au fond, il n'était qu'une page blanche.
Ce n'était peut-être pas une bonne idée... d'exister.