Aleksey V. Zviaguintsev
◤ I can't drown my demons : they know how to swim. ◢
I’m not drunk, I’m just intoxicated by you.
◤ Les roses sont rouges les violettes sont bleues j'ai cinq doigts et je t'offre celui du milieu. ◢
I have the F, the C, and the K. All I need is U.
◤ I live in a world of 8 billion people and I still feel lonely : this is the proof that life has a weird sense of humor. ◢
◤ twinkle star, twinkle star, let's have sex in my car. ◢
▬ snow is the one who says stop to the time.
Il neigeait. Les flocons tombaient du ciel en virevoltant, formant un tapis blanc. Il neigeait. Pas un chat dans la rue, les oiseaux dormaient, février ronronnait pour la fête des amoureux qu'elle célébrait aujourd'hui. Il neigeait. Il neigeait et pourtant il n'était pas là. Il neigeait et pourtant elle était seule, dans cette salle à l'odeur médicamenteuse qui lui picotait les narines alors qu'elle caressait anxieusement cette peau pâle avec ses fins doigts. Pourquoi n'est-il pas là ? Il neigeait. Pourquoi est-elle seule ? Il neigeait. Pourquoi dormait-elle si paisiblement alors qu'elle crevait d'inquiétude ? Il neigeait. Il neigeait et le temps semblait s'être arrêté pour la laisser couler dans son inquiétude. Il neigeait et ses yeux cernés fixaient ce petit être qu'elle berçait, l'air paisible, un petit sourire sur ses lèvres de nouveau né. Il neigeait et elle avait l'impression d'être tiraillée entre la solitude et le bonheur d'avoir donné naissance. Elle attendait, attendait, attendait qu'il revienne, qu'il la prenne dans ses bras, lui murmure des mots doux, lui caresse la joue, qu'il les berce toutes les deux de ses grands bras protecteurs, elle attendait qu'il soit là, à ses côtés tout simplement parce que c'était la seule chose dont elle avait besoin pour se sentir vivante, aimée et entourée. Et pourtant elle avait déjà compris à quel point ce jour serait maudit, à quel point cette saint-valentin serait pourrie et à quel point elle pleurerait pendant la nuit.
Parti le papa, parti qu'il est et jamais qu'il reviendrait, mais ça la crèverait de l'avouer alors elle se balance d'avant en arrière en souriant, murmurant des « Tout va bien, il va arriver » pour essayer de se persuader. Elle est seule la maman, seule qu'elle est et elle devient folle la maman, folle pas vrai, mais personne ne le comprendrait alors elle se contente de chuchoter des paroles que personne ne peut entendre ou comprendre parle qu'elle est déjà partie elle aussi dans cette tristesse dont on ne revient pas.
▬ snow is what her world is.
Il neige. C'est beau la neige. C'est blanc, pur et délicat, ça chatouille la peau, ça fond, coule puis disparaît sans laisser de trace, c'est éphémère, c'est beau la neige, ça laisse des souvenirs, des moments de paix et de tranquillité, de froid, d'anxiété, de solitude, de tristesse, d'amour, c'est beau la neige, mais c'est triste, seul. Est-ce qu'elle a des amis, la neige ? ou bien tombe-t-elle toujours toute seule sans jamais rencontrer âme à qui parler ? Elle se sent triste pour la neige, elle, assise sur les flocons en soufflant de l'air pour réchauffer ses petites mains, entourée de sa chevelure noire si longue qu'elle lui cache la vue. Elle se sent triste pour elle en regardant les petits copeaux blancs descendre du ciel pour atterrir sur son nez rougit par le vent glacé. Et puis elle se dit qu'elle est comme elle, la neige, alors, elle n'a pas d'ami. Est-ce que, comme elle, la neige a une maman ? Après tout, comment ça nait, la neige ? et elle, comment elle est née ? Parce que, douce Russie, je suis désolée, mais rares sont les roses et les choux qui poussent sur tes terres. Enfin si, il y en avait bien qu'ils soient rouges pour ces derniers. Il n'empêche qu'elle était perplexe. Il est où, son papa ? Pourquoi sa maman était toute seule ? Sa maman... Elle l'aimait, sa mère, elle et son sourire, elle et sa voix cristalline, elle l'aimait, sa mère, elle et ses étreintes chaleureuses, elle et ses comptines mielleuses. C'est avec tout c'est cet amour qu'elle se rendait compte qu'il y avait des choses anormales chez elle. C'était quoi ce qu'elle cachait dans sa table de nuit ? Cette boîte bleue et blanche qu'elle lui interdisait de toucher, de voir comme s'il s'agissait d'un morceau de cristal qu'elle casserait au moindre contact. Pourquoi elle pleurait chaque soir alors qu'elle venait juste de la mettre au lit ? Avait-elle fait des bêtises ? Pourquoi était-elle si triste ? Ah, Aleks, si tu savais pourquoi. Si tu savais pourquoi elle pleure tu t'en voudrais toute ta vie et tu le haïrais, lui aussi.
▬ snow is the one who says stop to the time.
Le temps passe. Overdose. Le temps passe. Elle est partie. Le temps passe. Elle est toute seule maintenant. Le temps passe. Et treize ans, seulement. Le temps passe et la voilà à l'hôpital. Le temps passe et la voilà qui lui tient sa main si froide avec quelques larmes chaudes sur les joues. Le temps passe oui, et personne ne peut l'arrêter, même avec beaucoup de bonne volonté. Il continu sa route sans s'encombrer des détails. Une vie est finie ? Dix autres commencent aujourd'hui. Elle est partie oui, mais c'est tant pis. Elle sait maintenant au moins ce qu'était cette petite boîte bleue et blanche si intrigante. Elle sait maintenant pourquoi elle pleurait, pourquoi elle se lamentait. Elle t'aimait Aleks, oui, elle t'aimait. Même si elle se
droguait. Anti-dépresseurs. Une petite boîte médicale qui te l'a enlevée. Quelques pilules et hop elle est partie. Quelques pilules et plus jamais tu n'auras le plaisir de sentir ses étreintes rassurantes et sa voix chaleureuse te caresser la tempe.
Quelques petites pilules.
Juste quelques petites pilules.
La vie est tellement fragile, si simple à enlever. C'est à cet âge que tu l'as compris. Et tu allais où, maintenant ? Finalement ça ne fut pas compliqué. Une ou deux recherches et la voilà en face de son padre. Il était beau, le père. Très beau. Il lui ressemblait beaucoup. Par contre, la femme et ses deux enfants à côté va savoir d'où ils sortaient. « C'est ta nouvelle famille. » qu'il a dit. Juste quatre mots, comme ça. Quatre mots pour lui faire comprendre qu'il était parti pour une autre femme avec qui il avait eu d'autres enfants. Mais pour eux il n'était pas parti. Pourquoi l'avait-il laissée, elle ? Quelques jours ont passé, puis ce furent les semaines et les mois qui s'enchaînèrent. Elle était bizarre, cette famille. La mère en elle-même n'avait rien d'étrange : douce, attentionnée, elle lui rappelait sa
vraie maman. D'ailleurs elle n'appelait pas cette femme par la même appellation, seulement par son prénom. Le père était distant, si l'on ne pouvait dire qu'il ignorait l'existence de sa propre fille, la chaire de sa chaire. Mais le pire d'entre eux étaient les diables qui leurs servaient de fils. Ces deux adolescents dérangés qui
adoraient torturer leur petite sœur dès que leurs parents sortaient.
Au premier sens du terme.
Elle s'est plaint, à son père, à sa femme, et pourtant malgré les traces qui se déposaient jour après jours sur sa peau si pâle personne ne daignait lui porter secours. Elle avait l'impression d'être le vilain petit canard de cette famille aux allures si parfaites. La vie a un sens de l'humour plus amer que la mort elle-même. Alors, assise dans le jardin, parfois, elle parlait à la neige. A la neige de sa Russie chérie comme elle le faisait avant que ça maman ne l'appelle pour souper. Sauf que maintenant, au lieu de retrouver un chez soi douillet elle retournait dans la gueule du loup et ses mâchoires aiguisées.
▬ snow is the one who says stop to the time.
Une pilule. Un verre d'eau. Cul sec. Elle regarde son reflet dans le miroir, les yeux légèrement cernés, le teint livide, le regard abstrait. Il entre sans prévenir. Ils se regardent. Leurs yeux se croisent, se cherchent, leurs pupilles s'affrontent. C'est une guerre sans merci, silencieuse. Elle tient bon mais finit par se tourner vers le miroir à nouveau, les mains sur le lavabo.
▬ Tu pars en Amérique chez ta tante. Les anti-dépresseurs, les conneries, je veux que tu arrêtes.
Elle retourne vivement la tête vers lui. D'où se souciait-il d'elle
maintenant ? Alors qu'il ne l'avait jamais fait jusque là ? De quel droit osait-il décider pour elle ? Elle sent sa mâchoire se crisper, ses dents crissent désagréablement lui procurant un frisson dans l'échine.
▬ Tu as quatre ans après tu rentres.
Elle cherche à nouveau ces pupilles combattantes mais il est parti, il a déjà gagné.
▬ Tu pars après demain. On a déjà réglé toutes les formalités, ta mère et moi.
▬ Ce n'est pas ma mère.
C'est tout ce qu'elle trouve à répondre.
Il sort et elle le suit de près en claquant la porte derrière lui, la boîte bleue et blanche dans la main, elle lui passe à côté et va dans sa chambre tandis qu'un des fils cri de faire moins de bruit. Elle pose la boîte, saisit un vase et en quelques secondes il s'écrase contre le mur en mille morceaux. Une table dégringole avec les affaires qu'il y a dessus, une vitre se brise, son portable s'éclate. La chambre est sans dessus-dessous et on entend des pas dans l'escalier. L'aîné la saisie par le col et sa main vient claquer contre sa joue avant qu'il ne la secoue et la balance sur les morceaux de verres éparpillés dans la chambre. Sa peau s'y coupe et le sang y coule, en faible quantité avant qu'il n'appuie sur une des mains, enfonçant un débris et lui arrachant un cri. Il repart en lâchant un « J'ai dit moins de bruit. » tandis qu'elle observe sa main en serrant les dents, enlevant le morceau transparent ensanglanté. Un an qu'elle subissait ce genre de choses. Plus violemment, plus durement, toujours plus froidement. La femme ne lui adressait plus aucun regard. Elle avait peur.
Faible. Elle n'avait plus peur. Elle s'y était accoutumée. Elle s'y était résignée. Il voulait qu'elle arrête ? Mais enfin, même elle, elle le savait. Ils la lâchaient dans les grandes villes, la population, les vraies hostilités.
Elle allait dégringoler.
Très bien, elle allait enfin s'amuser. Un sourire sur ses lèvres, le verre glisse entre ses doigts pour atterrir sur son poignet comme il l'a fait de nombreuses fois et d'un geste vif il découpe délicatement l'épiderme pour qu'un léger filet écarlate s'en échappe. Il neige. Elle est belle, la neige. Elle est belle sa Russie.
Joyeux Noël, Aleksey.
▬ snow is the one who says stop to the time.
Oklahoma. Vive les USA. Deux ans déjà et autant vous dire que la pente avait été raide. Un 90° sec et net. La tante était une personne réservée, et autant dire qu'elle ne la voyait presque jamais. Un peu de fric par là, deux trois post-its par-ci, rien de très festif. L'école ? Une fois tous les trente-six du mois à peu près. Non, Aleksey c'était désormais un mètre soixante dix de clopes et de cafés pour soixante kilos tous ronds de sexe et de drogue. Ils sont beaux, les seize ans. On est peut-être cons à dix sept ans, mais à seize on est carrément attardés. Les quartiers sombres, le marché noir, le deal. Et puis l'alcool. Elle ne comptait déjà plus le nombre de fois où elle s'était réveillée avec un mal de tête cuisant dans un lit qui n'était pas le sien à côté de quelqu'un d'autre. Un homme, une femme, elle s'en foutait. De toute façon elle s'en souvenait à peine et repartait dès son réveil après avoir prit un café pendant que l'autre dormait encore à poings fermés. Elle se souvenait, à l'époque, d'un garçon blond qui était aussi déchiré qu'elle, des pas bancals, des propos confus et direct au lit. Mais là aussi, le lendemain, elle était repartie. Ces quatre années en Amérique ont terminé de la détruire, elle est sa stabilité décalée. Les anti-dépresseurs étaient dangereux, elle le savait. Pourtant elle continuait. Et elle finirait peut-être comme sa mère, qui sait.
Deux ans de plus, encore. Dix huit ans et toutes ses dents. Félicitation Aleksey, te voilà majeur. Et ceci est la dernière année de sa récréation. La dernière semaine, même, si l'on pu dire. Et j'ajouterais même le dernier
jour. Encore à traînasser dans les rues et voilà où elle en est, accostée par des lourds qu'elle semble connaître mais a oubliés. Et puis une tête blonde apparait, comme si de rien n'était et prend sa défense tel un chevalier blanc mal peigné. Finalement, tout ce qu'elle lui a décoché était son prénom et elle est repartie une clope au bec. A quoi ça servait ? Dans quelques heures elle serait dans l'avion en direction de cette neige et de cette glace qui entourait son cœur. Russie, Russie, Ô douce Russie où repose ses moeurs et ses peurs, bientôt elle reviendrait fouler ton sol de ses pieds. Et bientôt, Russie, elle laissera son corps souillé s'étaler sur ta froideur hivernale en écoutant les rires malsains danser. Et bientôt, Russie, elle verra leurs sourires obscènes se braquer sur elle pour la mitrailler de paroles et de mises en scènes.
Et bientôt, Russie, elle viendra faire couler sur ce si beau blanc son sang écarlate pétillant.
▬ snow is the one who says stop to the time.
Un, deux ;
On lui crève les yeux.
Trois, quatre ;
Un chef d'oeuvre digne d'un peintre.
Cinq, six ;
Le rouge n'est-il pas magnifique ?
Des rires, des moqueries. Elle a fui et c'est enfermé mais ce n'était que pour retomber dans le même gouffre. Elle n'avait pas prévu de se faire prendre par d'anciennes connaissances qu'elle a lâché du jour au lendemain et avait qui elle avait quelques petits comptes à régler. T'as failli y passer, Aleks. Toi, là, couchée dans cette ruelle, les yeux clos avec ta mine dégueux et un filet de sang au coin des lèvres, pâteux. Finalement, Aleks, quelqu'un aura fait pour toi ce que tu rêvais de faire depuis bien longtemps. Tu t'étais emmêlée dans le rouleau de fils de la vie. Non, en fait, t'étais jamais partie. Y'avait toujours eu cette boule qui t'empêchait d'avancer et qui te retenait un peu plus chaque jour. Tu as fermé les portes d'un monde triste et gris où la neige était ta seule amie, t'as fermé les yeux sur des sourires moqueurs et des paroles railleuses pour les rouvrir sur cette terre haute en couleurs, qui respirait la joie et le bonheur. Toi avec ta mine pâle dégueulasse, toi avec tes vingt ans, presque vingt et un, ton paquet de clopes et les deux boîtes d'anti-dépresseurs que tu trimballes dans tes poches.
La vie a un sens de l'humour tordu.
Mais la mort est tombée dans un champs de drogue.
Bonne année en retard, Aleksey, et tous mes vœux pour te réveiller.