• feat. Ortie •

Je suis dans mon bureau, la pluie bat les vitres. Constantine. Je rédige les invitations de la prochaine soirée. Constantine. Chère... Constantine. Cordialement, Arsène, Hôtesse du Château. Constantine. Une autre invitation. Constantine. Un soupir. Constantine. Constantine. Encore et toujours Constantine. Nouveau soupire. Je ne pense qu'à elle. Je ne peux la sortir de mon esprit et ne le veux pas de toutes façons. Une nouvelle invitation et toujours Constantine dans mes pensées. C'est terrible de constater à quel point elle me hante. C'est d'autant plus triste de constater qu'elle, elle ne remarque rien...

Ultime invitation. Je referme l'enveloppe après l'avoir humidifié avec une petite éponge humide spécialement conçu pour économiser sa salive. Je me détourne vers la fenêtre et fais une moue agacée par le temps qui se borne à être mauvais. Comme si ce n'était pas assez pénible de ne pas être remarqué de Constantine. Il fallait que le temps se ligue contre moi, aujourd'hui. Ah, si les gens savaient que moi, Arsène, l'hôtesse du château. Celle qui fait la pluie et le beau temps. Celle qui dit qui vient et ne vient pas aux soirées. Si les gens savaient qu'une histoire de cœur peut m'attrister, qu'elle ne me remarque pas, ma réputation en prendrait certainement un coup. Moralité de l'histoire, j'ai un cœur et il ne bat que pour Constantine.  

Je fourre les invitations dans mon sac. En général, je ne vais pas les poster moi-même, j'ai des larbins pour ça, mais j'ai envie de m'aérer l'esprit et comme je dois être un peu maso sur les bords, quoi de mieux que de sortir sous la pluie quand on est triste ? J'attrape mon manteau, mon écharpe et mes gants, puis je quitte mon bureau après avoir pris une inspiration. Il est tout simplement hors de question que le monde sache mes peines de cœur. Alors je revêts mon masque d'hôtesse. La vie est un vaste théâtre et je me dois de jouer mon rôle à la perfection. Je croise une domestique cirant le parquet. « Quand tu auras fini, tu iras cirer le parquet devant la porte de la chambre de Sunshine. » Je claque ma langue contre mon palais. « Je viens de le faire, si je recommence, elle glissera sûrement. – Oh, vraiment ? » Je lui lance un sourire faussement innocent. « D'accord... » Je reprends mon chemin.

Abritée de mon parapluie, je passe devant une boutique de fleurs en retournant au château après avoir posté les invitations. C'est une boutique assez petite, qui passe presque inaperçue entre les immeubles voisins qui semblent l'écraser, pour ne pas dire l’oppresser. Je n'y avais jamais prêté attention et pourtant, aujourd'hui je la remarque. Peut-être parce que mon esprit vagabonde un peu. Je m'arrête devant la devanture, particulièrement chargée, et regarde les plantes en exposition. Et si j'achetais une plante, ou un bouquet, pour Constantine ? Je me fais cette réflexion. Oui, pourquoi pas. Je ne perds rien à essayer.

J'entre dans un tintement de carillon après avoir refermée mon parapluie. J'accroche ce dernier à mon poignet gauche. Je lance un « Bonjour. » d'une voix chantante qui se veut mignonne. Je souris poliment au fleuriste derrière son comptoir et fais quelques pas en regardant toutes les plantes et les fleurs. La boutique est particulièrement chargée et assez peu lumineuse pour un fleuriste, je dirai même que c'est le bazar. Enfin, pour une petite boutique de ce genre, je n'en suis pas étonnée. Le fleuriste ne devait pas imaginer qu'un jour je poserai un talon dans sa boutique.

Mon regard vagabonde entre les fleurs, puis il dévie sur le fleuriste avant de retourner aux fleurs. Oh, une minute ! Je porte de nouveau mon attention sur le jeune garçon. « Ton visage me dit vaguement quelque chose... » Et puis, je claque des doigts de ma main gauche. « Tu es déjà venu livrer des fleurs pour une soirée, non ? » Je fais toujours en sorte de faire travailler un peu tout le monde, mais il faut avouer que le cirage de bottes est encore la meilleure façon de se faire engager régulièrement par moi. Je ne me gêne nullement pour le regarder de haut en bas et de droite à gauche et là, je suis en proie à un doute. « Oh, t'es une fille ? » Cela pourrait être une question méchante. En fait, c'est vrai que c'est assez vexant, mais je le dis avec tant d'innocence dans ma voix. Accompagné d'un sourire tout aussi innocent et ingénu.

Et puis, je suis l'hôtesse du château, si il ou elle veut que je lui achète quelque chose, il ou elle a plutôt intérêt à ne pas prendre la mouche – ou du moins trop le montrer. Que je daigne entrer dans sa petite boutique est déjà bien charitable de ma part. Je me coucherai ce soir, fière d'avoir fait une bonne action.

Tenue:

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