▬ psychologie
Odin n’était pas méchant.
Odin n’était pas vraiment.
C’était comme un songe condensé, comme une balle tirée.
Un mélange de trois fois rien qui pourtant, d’un coup, définissait une vie.
La sienne, en l’occurrence. Comprenez-vous, c’était un homme torturé. N’aimant pas vraiment geindre, ouvrir bouche et piailler à quiconque qu’il était mal logé, mal nourri,
mal aimé. Non. Odin était un spécialiste du supplice interne. C’était un bon mauvais. Un mauvais bon. Un homme, tout simplement. Que ce soit avec une grande majuscule ou une ridicule minuscule. Il était un défaut, un incomplet. Et puis des fois, il craquait. Des larmes, qu’elles soient solitaires ou accompagnées luisaient, roulaient et dévalaient. Et ça faisait mal. Si mal. Ô oui. Odin connaissait la souffrance, sentait la folie. Odin gardait ses secrets. Et puis s’écroulait. Comme tout être vivant sur cette terre. C’était moche, mais c’était ainsi. En fusion avec le sol, glacé et amer, il apprenait à se redresser. De cela, le jeune et brillant Odin Clint Holm pouvait alors sembler fragile. Mais avouons-le.
Sa fragilité était telle la grenade sans goupille.
En dehors de ça, Holm était un gars d’apparence plutôt sympa. Un peu perché, aussi, sans doute. Quand on le dévisageait, le regardant du coin de l’œil ; s’était comme si on le découvrait. Et ce peu importe le nombre de fois l’action répétée. Ce damoiseau était un furieux mélange du syndrome de la page blanche et du trop plein, trop noir et trop brouillon. Il y avait alors dans nos têtes un malaise un peu sourd. Puis on comprenait, un peu tard, cependant.
Ondin était un musicien.
Membre d’orchestre, pianiste reconnu, sachant écouter et même rectifier. Maniant l’humour et le sourire, sachant se laisser posséder. Odin était une expérimentation. Un mélange de beau et de banalité. Son corps n’avait rien d’époustouflant, quoiqu’il fût bien bâti et justement taillé. Yeux gris nébuleux, presque aériens ; épaules solides et dessinées, jambes effilées… Il passait la foule sans former quelconque agitation, en artiste endormi. Mais passons outre les détails. Brun non méchant, ni entièrement gentil. Damoiseau aux moues intimes, souvent lointaines. Fils aux iris laissant filtrer amertume et distance, puis, immédiatement, agréable indifférence. Odin était comme un lac. Une surface flattée par de légers rayons, possédant son intérieur, son inconnu et profond. Il fallait bien l’admettre.
Odin ne savait plus ouvertement afficher sa tristesse.
Alors il pleurait pour les belles choses.
Mais pas pour lui. Ou pas vraiment.
Odin avait peur de l’égoïsme. L’égocentrisme ? N’en parlons pas.
Mais il savait, oui Odin savait au fond de lui que ces deux mots étaient profondément qualificatifs de son espèce. Alors il faisait avec. Souriait aux passants, contournait les âgés, se trouvait profondément touché. Par les autres. Par la vie. Sans doute un peu par lui. Car Odin s’était perdu. Avec lui-même. Lui seul. Il avait chuté, s’était sans doute écrasé. Mais seul un vide immense l’avait trouvé. Alors, encore aujourd’hui, sans doute, il tombait.
Ou le croyait.
Peut-être trouverait-il un jour la solution. Peut-être arrêtera-t-il de hurler silencieusement dès ses doigts posés sur un clavier. Le monde avait bien changé. Lui aussi. Mais c’était ainsi. Alors des fois, lors d’inestimables instants, on le surprenait à sourire. A pleine dents. Croquant une idée ou une beauté à pleine dents. Peut-être vous. Peut-être un autre. Mais c’était ainsi. On le découvrait généreux et attentif, s’étonnait de sa saisissante attention. Lui qu’on entendait jouer, se retrouvait à nous écouter. Et il aimait, oui aimait cette situation. Pour ceux qu’il élisait. Pour ceux qui le piquaient. Ou l’émouvaient. Puis revenait le noir. Revenait cette peur. Revenait ce refus et la solitude, tranchante, avide et sans pitié. Frissons. Obscurité. Accroupi il s’adossait, empoignait crins de ses mains. Peur peur peur.
Mépris.
L'on ne peut pas se fuir.
Jamais.